Christian Vié : « Avec Orséry, nous voulions renouveler les services des librairies »

Par : Lucile Payeton

02/05/2019

Suite à l’annonce du dépôt de bilan définitif d’Orséry, son fondateur et président, Christian Vié, revient, pour Booksquad, sur l’aventure du projet et sur les raisons de son échec.

Booksquad : Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs comment il vous est venu l’idée d’Orséry et leur rappeler brièvement son concept ?

Christian Vié : J’ai lancé Orséry en juillet 2013, après un an d’études du marché du livre. Je suis vraiment parti d’une feuille blanche, ne venant pas du tout du monde du livre. Orséry se présentait comme une alternative à la surproduction. 

Nous voulions permettre au client de toujours trouver, de manière quasi instantanée, le livre qu’il cherchait. En moins de dix minutes, le client pouvait imprimer le contenu qu’il souhaitait, un contenu de même qualité qu’un livre qu’il pourrait acheter sur les étagères d’une librairie. Nous proposions aussi des contenus adaptés aux personnes dyslexiques, ou nécessitant des polices de caractères agrandis.

Pour le distributeur libraire, ce projet représentait un moyen de désencombrer des stocks surchargés d’invendus et pour les éditeurs de produire en quantité plus limitée. 

BS : Comment s’insérait Orséry dans la chaîne de distribution ? Quel atout apportait-elle ? 

C.V : Il y a deux tendances dans le secteur de la distribution. L’hypercentralisation, ce que fait Amazon, tout regroupé en un endroit et distribué directement à la clientèle. Et l’hyperdécentralisation, comme sur le modèle des acteurs territoriaux, avec une cascade d’acteurs qui occupent plusieurs fonctions. avant d’arriver au client final. 

Nous voulions proposer une alternative en créant à la demande, en renouvelant les services proposés par le librairie partenaire. 

En ce qui concerne les éditeurs, chaque titre publié par nos machines était doté d’un numéro, afin d’assurer la traçabilité des produits et de communiquer le nombre d’impressions effectuées aux maisons d’éditions détentrices des titres. 

Pour les libraires, Orséry aurait été une nouvelle forme de services, qu’ils auraient pu proposer et ainsi concurrencer la vente sur Internet. Notre service se présentait comme une solution progressiste, visant à remédier à la rentabilité en baisse des ventes de livres. 

Si on regarde la rentrée littéraire de septembre dernier, les blockbusters, qui tiraient les chiffres d’affaires vers le haut, se sont mal vendus . Et en cascade, le nombre d’exemplaires vendus des tirages moyens baisse aussi. 

Les librairies se retrouvent avec des montagnes d’invendus. En imprimant à la demande, nous voulions remédier au plus de 117 millions de copies qui restent sur les étagères des librairies ou qui sont détruites chaque année.

BS : Comment s’est établi votre partenariat avec l’entreprise d’impression numérique, Ricoh ?

C.V : Nous recherchions un imprimeur numérique avec des machines performantes et qui pourrait s’adapter au type de service que nous proposions. Ricoh était apparue la solution la plus aboutie au moment de la mise en place du projet. 

L’entreprise proposait notamment l’impression couleur et noir et blanc, d’une même qualité, mais aussi le vernissage des couvertures des livres imprimés, pour un rendu plus professionnel. Le processus d’impression et toute la gestion était complètement automatisé, réglée par le client sur notre site en back office. Aucune intervention manuelle de la part du libraire n’était nécessaire.

BS : Les imprimantes Orséry étaient disponibles dans 10 points de ventes, répartis un peu partout en France, dont 8 dans des espaces E.Leclerc. Comment s’est noué ce partenariat ?

C.V : Nous avions choisi les espaces E.Leclerc pour leur présence et force de frappe conséquente dans le milieu de la distribution. Notre souhait était ensuite de nous installer dans des librairies indépendantes, de plus en plus petites, pour finir chez le petit libraire au fin fond de la Creuse. 

BS : Mais, le 16 avril dernier, vous avez annoncé sur la chaîne Youtube d’Orséry la liquidation du projet. Comment cela s’est-il produit ?

C.V : Malheureusement, nous n’avons pas rencontré le succès escompté auprès d’investisseurs potentiels. Nous sommes tombés là où de nombreuses autres entreprises tombent, ce qui est communément appelé « la Vallée de La Mort ». 90% du projet était abouti. Cependant, à l’étape de la commercialisation d’Orséry, nous n’avons pas trouvé d’investisseurs. Alors nous avons déposé le bilan en début d’année, avec encore l’espoir de trouver un investisseur en dernière minute. Sans succès. 

BS : Avant le dépôt de bilan définitif d’Orséry, et avec les progrès du livre numérique - audio notamment - en France, pensiez-vous à leur faire une place au sein de vos services ? 

C.V : Oui, nous étions ouvert à la possibilité d’intégrer le livre numérique, en particulier le format audio, dans nos services. Nous avions songé à intégrer un code à nos livres, afin de proposer à nos clients une autre expérience de lecture. 

Nous avions vu dans le livre audio et l’imprimé la complémentarité de deux expériences de lecture pouvant être bénéfiques pour des lecteurs ayant des difficultés. Orséry avait notamment pour objectif d’aider les lecteurs dyslexiques. 

Néanmoins, il reste toujours ce problème de multiplicité. Comme avec les éditeurs et comme pour le livre imprimé, les plateformes se sont montées dans leur coin, chacune essayant de proposer le même service avec des signatures propres. 

Je crois qu’il faudrait repenser ce système et pourquoi pas monter un agrégateur - ou deux, car il est toujours plus sain de créer de la concurrence - qui allierait les plateformes et créerait une certaine uniformité des services. Cette solution ne serait donc pas liée aux distributeurs.

BS : Quel bilan tirez-vous de l’expérience ?

C.V : Le point positif était le soutien de nos partenaires, notamment Ricoh. 

Ce qui les a intéressés était la construction du business model avec un concept et non un produit que nous voulions vendre. Si vous prenez Airbus, ils ne proposent plus de vendre des avions, mais des heures de vols. C’était donc le service que nous proposions qui intéressait Ricoh et nos autres partenaires. 

Orséry était une nouvelle façon de repenser la distribution… Mais encore faudrait-il repenser aussi la production elle-même, qui émane des éditeurs. 

C’est Henri de Castries, l’ancien PDG d’Axa, qui disait que la taille [de l’entreprise] n’était pas un avantage, mais un inconvénient. Plus la société est importante et imposante, moins le changement de direction est possible, et plus difficile il sera de voir d’où sera assené le coup de massue. 

C’est exactement comme ça que les grosses maisons d’édition se voient. Elles se reposent sur leur taille, en pensant être à l’abri. Mais lorsque les choses basculent, la chute est très rapide. Elle se fait en quelques mois à peine. 

Je déplore le manque de coopération entre les les acteurs des métiers du livre. Il faudrait comprendre la nécessité de travailler ensemble afin de maintenir le circuit de distribution.

 

 

Propos recueillis par Lucile Payeton 

TEMPS DE LECTURE: 4 minutes

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